Le Luxembourg est particulièrement généreux en matière de dépenses publiques. Mais est-il "efficace" ? La Fondation Idea a réalisé une comparaison avec nos voisins.

Au Luxembourg, lorsque vous allez chez le médecin, que vous inscrivez un enfant dans une crèche, que vous empruntez le tram, que vous recevez une pension... Toutes ces actions rentrent d'une façon ou d'une autre dans la colonne des "dépenses publiques".

Et globalement, vous n'êtes pas à plaindre, car le Grand-Duché se montre souvent généreux. Mais tout cela a évidemment un coût.  En 2022 au Luxembourg, "les dépenses publiques atteignaient 34 milliards d’euros" soit près de 44% du PIB. Dépenses qui devraient passer la barre des 40 milliards en 2024, écrit l'économiste Muriel Bouchet, auteur pour la fondation Idea d'une imposante étude sur le sujet. Voici ce qu'il faut en retenir.

Où va cet argent public?

  • En 2022, les prestations et transferts sociaux prédominent, sous la forme d’interventions financières directes (les pensions, les allocations familiales, des revenus de remplacement…) ou de prestations en nature (hôpitaux, aides à domicile dans le cadre de l’assurance dépendance)... 
  • Les rémunérations des agents publics (personnel administratif, enseignants, professionnels de la santé...) représentaient 23% des dépenses publiques totales en 2022, soit près de 8 milliards d'euros.
  • Deux autres postes importants, avec chaque fois de l’ordre de 10%, sont la consommation intermédiaire et la formation brute de capital, en clair les investissements, essentiels pour l’avenir du Luxembourg.

Le Luxembourg est-il plus dépensier que ses voisins ?

Muriel Bouchet a fait le pari difficile de comparer les dépenses publiques du Grand-Duché avec celles de 4 pays "raisonnablement similaires au Luxembourg", à savoir ses trois voisins directs (France, Allemagne et Belgique) et un voisin indirect (Pays-Bas).

Problème : le Luxembourg se distingue par une forte présence de travailleurs frontaliers et de pensionnés non résidents. En 2022, ceux-ci comptaient seulement pour 13,7 % des dépenses publiques totales, alors que 47% des salariés travaillant au Luxembourg étaient des frontaliers, ce qui illustre un certain déséquilibre.

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© Fondation Idea

Afin de comparer ce qui est comparable, la Fondation Idea a choisi de se baser sur le revenu national brut (RNB), qui consiste à retirer du produit intérieur brut (PIB) les revenus versés aux non-résidents. Sur cette base, en 2022, les dépenses publiques du Luxembourg se sont établies à 56% du RNB, contre 51 % chez les "4 voisins".  En euros, cela représente 35.000 euros par habitant au Luxembourg contre 21.000 euros en moyenne chez les "4 voisins", soit 66% de plus.

Le Luxembourg dépense plus en particulier dans des domaines comme la maladie et l'invalidité, la vieillesse (qui intègre les pensions), le secteur "famille et enfants" (les allocations familiales notamment), l’enseignement fondamental, les produits et équipements médicaux, les transports. À l'inverse, il est moins dépensier que ses voisins dans des secteurs comme les services ambulatoires ou hospitaliers, les pensions de survivants, l’énergie, la défense et la dette publique.

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© Fondation Idea

Donc globalement, le Luxembourg dépense plus, ce qui en soit n'est ni une surprise ni un problème. Ce qu'il faut savoir, c'est si cet argent est dépensé efficacement et se traduit par des performances accrues. Là encore, la réponse est ardue et dépend de chaque secteur. Regardons en particulier deux secteurs sensibles pour le Luxembourg: l'enseignement et les pensions.

Enseignement : peut mieux faire !

L'étude Pisa est une référence mondiale qui sonde depuis l'année 2000 les performances des systèmes éducatifs. Une étude qu'a redouté pendant des années le Luxembourg, obtenant des scores en-dessous de la moyenne de l'OCDE, au point d'annoncer en 2019 qu'il espacerait ses participations à chaque étude Pisa.

Le Luxembourg dépense pourtant en moyenne 4.210 euros par résident dans ce domaine, soit près de 2 fois plus que chez les 4 voisins. Dépenses qui vont à près de 80% dans les rémunérations du personnel. La fondation Idea s'est donc penchée sur le degré d’efficience des dépenses consacrées en Europe au fondamental et au secondaire, en fonction des résultats Pisa de 2018 (faute de participation du Luxembourg à l’étude Pisa de 2022).

On constate que le Luxembourg décroche très nettement, affichant des résultats nettement inférieurs au Danemark, au Portugal ou à la Slovénie pour des dépenses similaires, et des résultats pratiquement identiques à ceux de l’Espagne ou de l’Italie, qui pour leur part dépensent nettement moins… Les 4 pays "voisins"  dépensent aussi nettement moins et affichent de bien meilleurs scores que le Luxembourg.

Et l'origine étrangère d'un grand nombre d'élèves au Luxembourg, souvent invoquée pour expliquer un certain retard d'apprentissage, ne suffit pas à justifier ces résultats : en se basant uniquement sur les élèves d'origine luxembourgeoise, Idea aboutit à un classement pratiquement similaire.

Retraites : un gouffre financier qui va se creuser

En 2022 , le Luxembourg accordait à la catégorie "vieillesse" quelque 6.969 euros par résident, soit 76% de plus que les 3.951 euros observés chez les "4 voisins". Un écart qui s'explique largement par le poids des pensions. Idea rappelle que la pension maximale au Grand-Duché s’élève à quelque 10.276 euros par mois (voire au-delà dans les régimes spéciaux de pension des agents publics). Joue également la durée élevée de la période de retraite au Luxembourg, qui selon Eurostat serait la plus élevée de l’Union européenne avec 23,8 années au Grand Duché contre 21 années en moyenne pour les "4 voisins".

Pourtant, le Grand-Duché compte proportionnellement moins de personnes âgées de 60 ans et plus (20,4%) que ces 4 voisins (27,3%). Mais attention, "le Grand Duché devrait faire face à un vieillissement marqué de sa population dans les décennies à venir", donc les dépenses publiques associées risquent de suivre le mouvement. "Les dépenses associées aux seules pensions de vieillesse passeraient de 72 % du PIB actuellement à 10,5 % à l’horizon 2050 , alors que la proportion correspondante augmenterait de 8,8 à 9,9 % dans les 4 pays voisins" prévient Idea.

Conclusion : ne pas faire moins, mais mieux

Les dépenses de l’ensemble des administrations publiques luxembourgeoises ont été multipliées
par 2,5 de 2005 à 2022, contre 1,8 pour la moyenne des « 4 voisins » du Luxembourg.

Malgré cela, il serait hâtif de parler de "dérive" de ces dépenses, compte tenu des spécificités du Grand-Duché. La richesse du Grand-Duché entraîne forcément une demande plus élevée et donc coûteuse de services publics, rappelle Idea. Mais cela peut aussi "refléter des problèmes de gouvernance ou des comportement dispendieux profondément ancrés chez les administrés ou leurs gouvernants".

Trancher dans le vif de ces dépenses, sans rien changer structurellement n'apporterait rien de bon : "il en résulterait une dégradation du service ou de la situation sociale, sans aucune amélioration de l’efficience des domaines concernés". C'est cette efficience qu'il convient "au contraire d’améliorer durablement au moyen de mesures exhaustives et agissant directement à la racine des problèmes,
permettant de concilier la rigueur budgétaire (une nécessité dans le présent contexte) et la qualité des services au public" conclut la Fondation Idea.

Plus d'informations sur le site de la Fondation Idea.