
© Mike Squires
À l'instar de son amie Vicky Krieps, ce surdoué de l'image est un parfait ambassadeur de la culture luxembourgeoise à l'international. Réalisation, effets spéciaux... Jeff Desom s'est fait un nom à Los Angeles.
Chez Jeff Desom, l'envie de construire des univers a commencé dès l'enfance. "Durant mes dernières années de lycée (Michel Rodange. NDLR), nous a-t-il confié, je me suis intéressé à l’art et au cinéma en particulier. Mais l'envie de raconter des histoires, toujours visuelles, remonte à l'enfance. Quand j’étais très jeune, je construisais beaucoup de maquettes, j'aimais créer des mondes miniatures. Je faisais des petits films pour lesquels je fabriquais tout dans le garage de mes parents."
Avant même de partir faire de brillantes études à Bournemouth en Angleterre (The Arts Institute), cet autodidacte avait déjà marqué les esprits avec le court-métrage The Plot Spoiler, projet fou réalisé sur une période de quatre ans, pendant les vacances, qui a permis au jeune Jeff Desom d'obtenir sa première récompense au Luxembourg Film Awards en 2007. Le jeune homme un peu "geek", fasciné par les films de Wes Anderson, Tim Burton ou Jean-Pierre Jeunet, profite d'une époque où le digital commence à devenir abordable pour tout le monde pour se former sur des logiciels comme After Effects.
"EN REGARDANT L'OBJECTIF, JE ME SUIS DIT QU'UN TRUC MAGIQUE S'ÉTAIT PASSÉ"
(À PROPOS DE VICKY KRIEPS)
Une fois son diplôme en poche, Jeff Desom s'installe à Londres et tente de faire fructifier le bon accueil reçu par ses dernières réalisations. Son premier clip musical, Morgenrot pour le pianiste allemand Hauschka, est nommé aux UK Music Video Awards et primé à Saint-Pétersbourg et à Chicago. À la même époque, il réalise le court-métrage X on a Map avec une jeune actrice luxembourgeoise prometteuse, une certaine Vicky Krieps. "On est toujours en contact avec Vicky, poursuit-il. On est restés bons amis. Je trouve sa carrière formidable et je suis très heureux que le reste du monde puisse apprécier son talent, que j’avais eu la chance de constater dès le premier test caméra. Je m’en souviens encore, en regardant dans l’objectif, je me suis dit qu’un truc magique s’était passé. Elle est vraiment transformée quand elle est filmée."
Axe
C'est une période où le nom de Jeff Desom commence à circuler et traverser les frontières: "J’ai eu beaucoup de sollicitations à cette époque. J’ai habité à Londres après mon école de cinéma, j’essayais d’entrer dans l’industrie mais c’était très difficile au Royaume-Uni."
Jeff multiplie les projets mais pas forcement outre-Manche. En 2010, à la suite d'une commande du centre culturel Carré Rotondes, le jeune prodige de l'image réalise une œuvre audiovisuelle qui va changer le cours de sa carrière. Sur un "vieux MacBook pro", Jeff Desom s'amuse à éditer et rassembler toutes les scènes extérieures visibles du classique d'Alfred Hitchcock, Fenêtre sur cour, afin d'en faire une vidéo panoramique. Rear Window Loop crée un buzz international et lui permet notamment d'être programmé dans des endroits aussi prestigieux que la Biennale d'art contemporain de Taipei ou à la Cinémathèque de Mexico.
Rear Window
En 2014, Jeff Desom remporte le prix Edward Steichen Award attribué par le Mudam: "Ce prix m’a offert la chance d’aller en résidence à New York pendant quatre mois. J’y ai croisé beaucoup d’amis que j’avais rencontrés sur des projets. J’ai décidé de tenter ma chance, j’ai assez vite intégré une agence de réalisateurs qui m’a proposé de me trouver du travail, Little Ugly. Les budgets s’agrandissaient de projet en projet, ça m’a conforté dans l’idée de m’installer aux États-Unis en 2015."
Jeff Desom maîtrise également à merveille l'art du clip vidéo. Le fameux piano qui tombe d'un immeuble dans Morgenrot a donné des idées à d'autres musiciens. Le rappeur californien Watsky ou la nouvelle figure du folk américain, Father John Misty, ont fait appel aux services du réalisateur luxembourgeois vite adopté par l'Amérique. Plus récemment, Jeff Desom a collaboré avec l'artiste nippo-américaine Mitski.
BTS Nitski
"ON ÉTAIT UNE EQUIPE DE CINQ [...] UN STUDIO COMME MARVEL AUTAIT EMPLOYÉ DES CENTAINES DE PERSONNES"
Parallèlement à sa carrière d'auteur et de réalisateur, Jeff s'est spécialisé dans les effets spéciaux. Un savoir-faire qui lui a permis d'obtenir la confiance des producteurs du film Everything Everywhere All at Once, la société A24 et Anthony et Joe Russo, connus pour leur travail sur la saga Captain America. Cette comédie de science-fiction a créé la sensation aux États-Unis en mars dernier, où elle a totalisé 1,76 million d'entrées en 15 jours d'exploitation.
Trailer Everything
"On était une équipe de cinq personnes pour faire les effets visuels, explique-t-il. Les réalisateurs ne voulaient pas passer par une société. Nous, on était en contact direct avec eux. C’était un projet très particulier qui m’a rappelé des expériences de cinéma qui m’ont donné envie de faire ce métier. Je suis très fier de ce qu’on a fait. Un studio comme Marvel aurait employé des centaines de personnes pour mener un projet comme celui-là. Cela prouve qu’il est possible de faire autrement, même si les effets ne sont peut-être pas aussi réalistes. Mais on a eu la confiance des producteurs."
La diversité des productions du réalisateur luxembourgeois donne une idée de la richesse de sa palette, aussi à l'aise dans la publicité que dans le clip, dans la vidéo expérimentale que dans le divertissement, dans la conception que dans la réalisation d'effets spéciaux.

Jeff Desom en tournage sur un clip du rappeur Watsky / © Mike Squires
Si Jeff Desom a participé à la mini-série documentaire Stranger Things Spotlight, créée en marge de la série culte de Netflix, il manque malgré tout une ligne à sa filmographie, celle d'un long-métrage. Un vide qui sera peut-être bientôt comblé: "Il y a tout un travail invisible que je fais, lié à la réalisation et à l’écriture. Je passe beaucoup de temps à développer mes propres histoires, c'est un investissement. Ce n’est pas toujours très facile car il faut prendre le risque de refuser du travail rémunérateur. Je viens d’écrire un scénario dont je suis fier, il s'agit d'une histoire européenne. On essaie de trouver des financements avec le producteur luxembourgeois Samsa, j’aimerais faire le lien entre le vieux continent et celui où je vis aujourd'hui."
Quel que soit le côté de l'Atlantique duquel il se trouve, Jeff Desom parvient à faire parler son talent... Un pur produit du Grand-Duché qui voit grand!