Frontaliers, circulez ailleurs ! Le Luxembourg prévoit de leur barrer l'accès au CR178, la route transfrontalière entre Belvaux et Rédange. Rédange qui de son côté a pris un arrêté de restriction de la circulation sur une petite route très fréquentée. Des mesures qui font polémique et qui devraient rediriger le trafic vers une liaison Micheville-Belval qui montre déjà ses limites...

Avec la liaison Micheville-Belval, tout est une question de timing. Si vous avez la chance de l'emprunter dans le bon sens ou durant les heures creuses, elle prendra pour vous des aires d'autoroute, une voie royale vous permettant de rejoindre en un éclair le Luxembourg depuis Audun-le-Tiche. Mais aux heures de pointe des frontaliers, abandonnez tout espoir : ce raccourci se transforme en bouchon géant, où les voitures s'engluent, pare-chocs contre pare-chocs.

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Dépendant du sens et de l'heure durant laquelle vous l'empruntez, la liaison Micheville peut se transformer en paradis ou en enfer... / © Romain Van Dyck

Et n'espérez pas être tiré d'affaire une fois arrivé au rond-point d'Audun-le-Tiche: les bouchons se poursuivent ensuite dans la commune et en direction de Villerupt (qui tente de fluidifier le trafic en installant des feux tricolores intelligents) et des villes alentours...

Projet qui aura mis des années à se concrétiser, la liaison Micheville-Belval montre déjà ses limites. Elle a pourtant permis de désenclaver tout un territoire frontalier, en reliant directement Tiercelet et le site de l'ancienne friche industrielle Micheville (entre Villerupt et Audun-le-Tiche) à l'A4 luxembourgeoise. Mais ce faisant, elle a aussi provoqué - et c'était son but - un appel d'air. De nombreux automobilistes ont délaissé les axes secondaires pour l'emprunter. Sauf que les choses ne risquent pas de s'améliorer. D'abord parce que le contingent de frontaliers français devrait continuer de grossir les prochaines années, ce qui augmentera forcément le trafic sur cette liaison.

Ensuite parce que les choses se gâtent non loin de là : le maire de Rédange (Moselle) a pris un arrêté de restriction de circulation aux heures de pointe, tandis que le Luxembourg prévoit une mesure plus radicale, en leur barrant l'accès au CR178, la route transfrontalière entre Rédange et Belvaux.

Ce qui doit changer du côté de Belvaux

C'est marqué à la page 126 du Plan National de Mobilité (PNM) 2035 : "Pour ce qui est de Belvaux, la mise en service de la liaison Micheville permettra de fermer le CR178 au trafic motorisé transfrontalier".

Nous avons contacté le ministère luxembourgeois de la Mobilité pour savoir où en était ce projet. "Cette mesure est toujours d’actualité" nous répond-on, même s'il est encore "trop tôt pour avancer une date ou une échéance" pour sa concrétisation.

Ce que l'on sait en revanche, c'est que cette mesure visera à "écarter le trafic motorisé individuel en transit dans les localités de Rédange et de Belvaux et à diriger le flux de trafic vers les axes primaires qui sont conçus pour accueillir un volume de trafic élevé", en particulier donc la liaison Micheville. Mais attention, "il est essentiel de souligner qu'il ne s'agit pas d'une fermeture de la frontière" ajoute le ministère, précisant que "le CR178 restera toutefois ouvert aux transports publics (bus), aux services de secours et cyclistes". Pour ce faire, le Luxembourg devrait probablement installer des bornes rétractables automatiques.

Ce qui a déjà changé du côté de Rédange

Du côté de Rédange, le maire Daniel Cimarelli est déjà passé à l'action, en prenant un arrêté de restriction de circulation aux heures de pointe dans la rue de la Côte. Beaucoup de frontaliers empruntent cette rue pour rejoindre Belvaux. Le problème, c'est que cette route n'est pas faite pour cela : "C'est une rue municipale étroite de 3 mètres de large par endroit, les voitures qui s'y croisent sont obligées de grimper sur les trottoirs, c'est très dangereux pour les piétons" s'inquiète le maire.

D'où la restriction de circulation du lundi au vendredi : "Le matin c'est de 4h à 9h de France vers le Luxembourg, et ensuite c'est de 15h à 20h du Luxembourg vers la France. Ce n'est donc pas une fermeture de la frontière" nous explique-t-il. Sauf que peu de frontaliers respectent cette restriction, déplore-t-il : "Admettons qu'il y avait 100 voitures qui passaient par là avant, maintenant il y en a 80. Car il n'y a pas de police municipale et de gendarmes qui viennent verbaliser" donc les contrevenants ne risquent pas grand-chose.

Résultat, le maire de Rédange doit résoudre une équation quasi impossible, car elle oppose le bien-être de ses résidents à celui de frontaliers qui veulent raccourcir le plus possible leurs temps de trajet. Sans oublier ceux qui veulent emprunter la rue de la Côte pour des raisons diverses (visite d'un proche, livraison, etc.). "Quoi qu'on fasse, on fera des mécontents. Mais ce que je vois, moi, c'est qu'il y a de plus en plus de trafic à Rédange", commune de 1.000 âmes qui voit passer 4 fois plus de véhicules chaque jour dans ses rues. "Et ça va s'aggraver, le nombre de frontaliers va exploser les prochaines années, et il faudra bien qu'ils passent quelque part". "Ça fait 50 ans qu'on manque d'anticipation sur ces problèmes" soupire le maire, qui dit toujours attendre des alternatives crédibles - autobus, train, tram - pour soulager tant les frontaliers que les riverains.

Une fermeture de la frontière qui ne dit pas son nom ?

Ces décisions à Rédange et Belvaux font évidemment réagir frontaliers et riverains sur les réseaux sociaux. Au Luxembourg, une pétition, intitulée "Non à la fermeture de la route entre Rédange et Belvaux", a également été déposée récemment à la Chambre des députés.

Et des élus s'emparent aussi du sujet, comme le sénateur de la Moselle Michaël Weber qui a posté un communiqué sur Facebook : "Je tiens à rappeler que je comprends tout à fait l'exaspération des frontaliers qui vont voir leur temps de trajets à nouveau augmenter. Pour autant, ne nous trompons pas de thématique [...], le problème n'est pas tant la fermeture de cette route que l'ensemble des questions de mobilité entre la France et le Luxembourg" plaide le sénateur.

Il pointe notamment la question "des correspondances et des cadencements entre les trains et les bus afin d'encourager encore plus l'usage des transports en commun", ou encore la nécessité de réouvrir la ligne Fontoy-Esch pour permettre "un désengorgement réel des axes aujourd'hui saturés". Il dénonce au passage "la récupération politique de ce dossier, par ceux-là même qui sans cesse affichent leur désir de fermeture des frontières, mais qui, dans ce cas de figure, par démagogie et électoralisme, vont défendre le contraire".

Cette problématique transfrontalière envoie en effet un mauvais signal. D'abord, elle confirme un manque récurrent de coordination entre le Luxembourg et la France. "Le ministère des transports luxembourgeois ne m'a jamais envoyé un message pour me dire 'attention, nous allons fermer l'entrée vers Belvaux'" déplore ainsi le maire de Rédange.

Ensuite, alors que la libre circulation des citoyens est au cœur du projet européen, il est certain qu'une fermeture, même partielle, d'une route frontalière entre la France et le Luxembourg, fragilisera un peu plus un idéal européen déjà bien malmené...