La France a sa Tour Eiffel, la Belgique son Manneken Pis, l'Allemagne sa porte de Brandebourg et le Luxembourg... sa "femme en or". Découvrez l'histoire et l'attachement des Luxembourgeois à cet "ange de la paix" qui surplombe la Place de la Constitution depuis cent ans.

Au Luxembourg la Gëlle Fra (prononcez: "gueuleu fra") est une star sur son piédestal de 20 mètres de haut qui ne passe pas inaperçue. De loin elle en impose par sa dorure qui colle bien à l'image que les touristes aiment se faire du Luxembourg. De près, c'est une figure féminine imposante dont la cambrure et la robe fine ont fait jaser. Mais la "femme dorée" de 3 mètres de haut, c'est bien plus que ça. C'est tout un symbole.

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La Gëlle Fra est le monument national luxembourgeois qui symbolise la liberté et l'indépendance du pays. / © Envato

"Elle symbolise beaucoup pour les Luxembourgeois qui s'y identifient très fortement. Et c'est une carte postale très recherchée pour les touristes", explique Robert Philippart, historien et UNESCO Site manager, au ministère de la Culture. Il précise: "Elle est interprétée tantôt comme donnant la victoire, tantôt comme donnant la paix". Dans sa main, elle tient une gerbe qui rend hommage aux héros et soldats morts pour le Luxembourg, qu'incarnent les deux soldats de bronze au pied du monument.

La Gëlle Fra fête ce 27 mai, ses cent ans ! La date retenue est celle de son inauguration officielle, le 27 mai 1923. Défilé en Ville de fanfares, chorales et associations, dépôt de gerbes à ses pieds, salves d'honneur, concert, tout y était. Un centenaire qui sera également célébré en grandes pompes ce samedi dans sa cour, la Place de la Constitution. Et même si elle n'en donne pas l'apparence, sa vie n'a pas été un long fleuve tranquille.

Une Naissance sur les chapeaux de roues

Tout est allé plus vite que d'ordinaire. "Elle a été construite assez rapidement après la Première Guerre mondiale alors que la genèse d'un monument national dure en général plus de cinq ans, voire dix ans". La Commission nationale des monuments lance un concours le 14 février 1920, le projet de Claus Cito -sculpteur né à Bascharage - remporte la palme et les travaux de construction commencent fin décembre. 1921 Les travaux seront semés d’embûches, mais ils seront bien achevés au printemps 1923.

"Mais dans ce cas, le contexte fut très politique. À la fin de la Première Guerre mondiale, Le Luxembourg, sorti de l'Union douanière avec l'Allemagne, devait se réorienter économiquement, sa sidérurgie devait se chercher de nouveaux débouchés dans le marché européen qui était en construction et dont la France tenait les rênes", explique l'historien Robert Philippart.

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Robert Philippart: "Cette représentation de la victoire devait être en or, lumineuse, brillante pour donner un certain éclat, pour montrer qu'on souhaite donner la paix. C'est la gerbe de la paix aussi qu'elle tient" / © Maurice Fick / RTL

La France et Luxembourg sont étroitement liés à travers ce monument. "D'ailleurs il y a un extrait de discours du Maréchal Foch (commandant en chef des armées alliées lors de la Première Guerre mondiale) qui est reproduit sur le monument et qui rappelle ces mots qu'il a adressés à la population luxembourgeoise lors de son passage à Luxembourg au Cercle municipal", glisse notre historien.

Elle n'a que 17 ans quand sa vie bascule 

Le 10 mai 1940, les troupes allemandes franchissent la frontière luxembourgeoise, la Gëlle Fra sera l’une des premières victimes du nazisme.

"L'occupant allemand a démonté ce monument. Il l’a carrément cassé et la Gëlle Fra est tombée", résume Robert Philippart. En octobre 1940, la première tentative d’arracher la Gëlle Fra échoue. Les cordages cèdent. À la seconde tentative, la statue bascule, tombe sur la tête (son cou restera marqué à vie).

Un triste démontage, qui fera au moins un heureux. L'un des spectateurs de l'époque réussit à dissimuler un orteil égaré. On ne connaît pas l'identité de ce premier propriétaire mais depuis, l'objet fait partie de la collection privée d'un antiquaire.

À l'époque, on cache la Gëlle Fra chez une commerçante Luxembourgeoise de Hollerich sous un tas de pavés. On songe à la remonter en 1945.

De retour sur l'obélisque à 62 ans

On l'expose pendant deux semaines en 1955, pour finalement la stocker et l'oublier sous les gradins du stade municipal d'où la Gëlle Fra sortira une bonne fois pour toutes en 1980.

La reconstruction commence en décembre 1984 à la demande du gouvernement, et la Gëlle Fra domine à nouveau la Place de la Constitution en mai 1985.

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Le grand-duc Henri, son épouse, et le Premier ministre Xavier Bettel au pied de la Gëlle Fra pour célébrer le centenaire de l'Armistice en novembre 2018. / © Archives RTL

Mais quelque chose a changé chez elle. Alors qu'initialement, elle regardait droit vers l'horizon, le coup du lapin subi lors de sa chute a fait que son regard est désormais tourné vers le bas.

Polémique et célébrité

Célébrité oblige, la Gëlle Fra a même été au cœur d'une polémique en 2001. Dans le cadre d’une exposition, l'artiste croate Sanja Ivekovic crée une œuvre qui va heurter certains Luxembourgeois. "Lady Rosa of Luxembourg" représente une version enceinte de la Gëlle Fra .

Bon nombre de ses opposants exigent son démantèlement, mais ils n'obtiendront pas gain de cause.

Entre mars et octobre 2010, la statue a gagné une nouvelle célébrité en devenant une "représentante en or" du Grand-Duché à l'exposition universelle de Shanghai. Trônant sur un socle de 3 mètres de haut devant le pavillon luxembourgeois, elle a accueilli plus de 7 millions de visiteurs.

Avant de remonter sur son piédestal sur la Place de la Constitution, une exposition lui a été consacrée à Bascharage, commune où est né son "père", Claus Cito. L'expo du "Hall 75" a montré l'attachement du peuple luxembourgeois à son symbole, puisqu'elle a attiré près de 37.000 visiteurs en une trentaine de jours entre le 10 décembre 2010 et le 23 janvier 2011. Un très joli score de fréquentation pour une expo au Luxembourg.

À noter: L'historien Robert Philippart organise ce dimanche 28 mai une visite-conférence gratuite sur "La controverse de monuments" dont la "Gëlle Fra". Le rendez-vous est fixé Place de Bruxelles à Luxembourg.