Escalader une mystérieuse tour à la force de la manette, c'est le défi que propose "Jusant", un jeu vidéo de grimpe qui est sorti mardi.
Si l'escalade fait partie de la panoplie classique du héros de jeu vidéo, elle est souvent automatisée, et se réduit à foncer droit dans un mur tout en gardant un bouton appuyé. Dans "Jusant", il faut préparer chaque parcours à la manière d'un vrai grimpeur, jongler entre une corde et des pitons ou encore jauger la force du vent.
"C'est une aventure majoritairement verticale, ce qui nous différencie des autres projets", explique à l'AFP Kevin Poupard, co-créateur du jeu, rencontré avant sa sortie.
Dans un univers désertique aux tons pastels, le joueur dirige un jeune garçon qui se fraye un chemin vers les sommets, alternant entre des phases de grimpe et des puzzles à résoudre pour avancer.
"On a voulu faire un truc assez instinctif", explique Mathieu Beaudelin, également à la tête du projet. "Chaque gâchette contrôle une main, et l'idée va être d'alterner au fur et à mesure de notre grimpe".
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S'il nécessite un petit temps d'adaptation, le jeu retranscrit assez fidèlement le rythme d'une ascension. La musique, discrète, laisse régulièrement la place au souffle du vent et aux halètements du héros. Certains angles de caméra donnent le vertige.
Pour rendre l'expérience crédible, une partie de l'équipe a fréquenté les salles d'escalade pour mieux étudier les mouvements et les ressorts de la grimpe. "Trouver le bon réglage a été un travail de longue haleine", se souvient Kevin Poupard, qui souhaitait avant tout que le jeu reste accessible et amusant, sans devenir un simulateur.
Jusant est le huitième jeu de Don't Nod, fondé en 2008. Avec près de 360 salariés répartis entre Paris et Montréal, c'est l'un des plus gros studios de développement français. Une trentaine de personnes ont travaillé pendant plus de trois ans sur le titre, dont l'idée a pris forme pendant le premier confinement.
"Il y avait une sorte de coïncidence au fait d'être d'un coup reclus chez nous. Gravir cette tour, ça nous permettait aussi de nous évader", confie Mathieu Beaudelin.
Les créateurs se sont inspirés d'œuvres liées à l'escalade, comme le documentaire américain "Free Solo" ou la BD "Ailefroide, altitude 3954" du français Jean-Marc Rochette. Ils citent également "Journey", succès de la scène indépendante vidéoludique en 2012, ainsi que les derniers jeux du créateur japonais Fumito Ueda ("Shadow of the Colossus", "The Last Guardian") pour l'ambiance onirique.

© DontNod
Eco-logique
Car s'il est fantasmé, l'univers du jeu raconte un monde dévasté, dont les vestiges évoquent ce qui reste après le passage d'un tsunami. Jusant est d'ailleurs "un terme maritime français qui signifie la marée descendante", rappelle Kevin Poupard.
"On essaie d'aborder notre relation avec la nature, de parler d'un peuple qui avait une forme de symbiose. Et puis à un moment, ça s'est mal passé", poursuit le développeur. "C'est en train de nous arriver et peut-être qu'on doit se questionner".
Une prise de position plutôt rare dans une industrie toujours frileuse à aborder de front des sujets de société, et qui est régulièrement pointée du doigt pour sa consommation énergétique.
"On fait des jeux un peu différents, qui parlent de thèmes qui ne sont pas souvent abordés dans les jeux vidéo", reconnait Oskar Guilbert, le PDG de Don't Nod. Le studio a su se démarquer par le passé en abordant des sujets complexes comme la transidentité, l'homosexualité ou l'immigration, notamment dans la série qui l'a fait connaître, "Life is Strange".
"On ne parle largement pas assez d'écologie dans un objet culturel comme le jeu vidéo", regrette Kevin Poupard. "Ce qui est bien dommage, et je pense qu'on devrait même s'en servir pour passer des messages un peu plus radicaux."