Les mois d’été ont été marqués par la confirmation d’un ralentissement de la dynamique américaine, particulièrement visible sur le front de l’emploi, justifiant une première baisse de taux en 2025.

Un accord commercial scellé entre l’Union Européenne et les Etats-Unis

Fin juillet, l’Union Européenne et les États-Unis sont parvenus à la conclusion d’un accord-cadre, très proche de celui obtenu entre les États-Unis et le Japon, limitant les droits de douane américains sur la majorité des importations - dont notamment l’automobile et les médicaments - en provenance de l’Union Européenne à 15%.  Si cet accord offre davantage de stabilité et de prévisibilité pour les entreprises, le relèvement des droits de douane n’en reste pas moins significatif et de nature à freiner l’activité. En outre, l’accord intègre des engagements d’investissements, imposés par l’administration Trump. À titre illustratif, l’Union européenne s’est ainsi vue assignée l’objectif d’achats de produits énergétiques (pétrole, gaz et technologie nucléaire notamment) à hauteur de 250 milliards de dollars sur base annuelle au cours des trois prochaines années. Cet objectif paraît peu crédible. En effet, les importations de produits énergétiques en provenance des États-Unis représentaient un peu moins de 75 milliards de dollars en 2024 (sur une facture totale d’un peu plus de 400 milliards). Celles-ci devraient dès lors tripler, un objectif peu réaliste, d’autant plus que ces importations sont réalisées par des entreprises privées, dont les décisions sont régies par des dynamiques de marché (évolution des prix…) et non par des objectifs politiques.

Fort ralentissement du marché de l’emploi américain

La dynamique économique américaine a faibli durant le premier semestre de l’année. Le PIB n’a en effet progressé que de l’ordre de 1,4% en rythme annualisé. Un ralentissement marqué et visible sur les différentes composantes de la demande domestique. Les dépenses des ménages, moteur de l’économie, n’ont crû que de l’ordre de 1% en rythme annualisé durant la première moitié de l’année 2025. Dans ce contexte, il est logique que les investisseurs scrutent avec encore davantage d’attention l’évolution du marché du travail. Sur ce front, la dégradation est flagrante.

La forte révision baissière des créations de postes portant sur les mois de mai et juin annoncée par le Bureau of Labor Statistics (BLS) a suscité l’ire du Président Trump, qui a limogé début août la responsable de cet organe indépendant en charge de la publication des statistiques portant sur l’emploi et l’inflation. Cette décision, contre-productive car de nature à miner la confiance des investisseurs dans les publications du BLS, est, selon le Président américain, la conséquence d’une manipulation des statistiques à des fins politiques. Les chiffres d’emploi en août n’ont toutefois pas davantage rassuré, avec seulement 22 000 postes de travail créés, confirmant l’atonie des embauches outre-Atlantique depuis le mois de mai. En outre, en dépit du fort tassement des flux migratoires et de l’absence d’une nette accélération du rythme de licenciements, le taux de chômage poursuit son ascension et atteint 4,3%, son plus haut niveau depuis 2021.

La Réserve fédérale opère une première baisse de taux en 2025

La dégradation observée ces derniers mois sur le front de l’emploi a infléchi le discours des autorités monétaires américaines malgré une inflation toujours proche de 3%. La récente baisse de taux de 25 points n’a dès lors pas surpris les marchés. Ces derniers tablent par ailleurs sur pratiquement deux baisses supplémentaires d’ici fin 2025.

RTL

Source : Federal Reserve, Banque de Luxembourg

La pression du pouvoir politique sur les autorités monétaires américaines, en particulier sur le Président de la Réserve Fédérale, Jerome Powell, dont le mandat expire en mai 2026, est intense. Celui-ci se voit reprocher de ne pas répondre positivement aux injonctions du Président Trump, qui souhaite voir les taux baisser substantiellement. Les tentatives de déstabilisation sont légion.

Donald Trump a par ailleurs positionné officiellement son conseiller économique, Stephen Miran, critique acerbe de la politique actuelle de la Banque centrale, afin de remplacer Adriana Kugler, démissionnaire, comme gouverneure de la Banque centrale. La voix de Miran - confirmé dans un temps record dans sa nouvelle fonction par le Sénat - s’ajoute ainsi à celles de Christopher Waller et Michelle Bowman, tous deux nommés par Trump et en faveur, eux aussi, de taux inférieurs au niveau actuel. Plus inquiétant encore, en dépit de l’absence de toute base légale, le Président américain a annoncé le licenciement de la gouverneure Lisa Cook, accusée de fraude dans le cadre de l’obtention d’un crédit hypothécaire. La gouverneure, nommée par Joe Biden en 2022, a riposté et déclaré qu’elle continuerait de remplir sa mission à la Banque centrale. Une procédure judiciaire, avec un arbitrage final probable devant la Cour suprême, déterminera s’il existe un motif sérieux pour justifier un tel licenciement.

L’objectif de l’administration Trump est limpide : subordonner la politique monétaire de la Réserve fédérale aux nécessités de la politique budgétaire très expansionniste du gouvernement américain, avec, à la clé, une perte d’indépendance de la Banque centrale. Cette « dominance budgétaire » est source d’inquiétude, car elle menace la crédibilité de l’institution, dont les missions sont essentielles au bon fonctionnement de l’économie et des marchés financiers. L’administration prend le risque de générer davantage d’inflation et de pousser les taux à long terme à la hausse. Une situation pour le moins paradoxale, la lutte contre l’inflation étant probablement le thème de campagne qui a mené Donald Trump à la victoire électorale.

Le dollar poursuit son mouvement baissier en dépit de la montée du risque politique français

Ces attaques répétées contre la Banque centrale plaident pour une poursuite de l’affaiblissement du dollar. L’appétit pour les actifs américains reste important, mais de nombreux investisseurs, en particulier en Asie, couvrent davantage le risque de change.

Il nous paraît périlleux, à ce stade, de faire un pari fort sur les perspectives du dollar. Une devise évolue en effet de manière relative, et cette relation est influencée par une multitude de facteurs, et non pas uniquement par un différentiel d’intérêt ou encore un différentiel de croissance.

La forte remontée du risque politique en France n’a pas pesé sur l’euro. La dégradation de la notation de la France par l’agence Fitch de AA- à A+ n’a pas surpris les marchés. La situation budgétaire française est toutefois interpellante. Le déficit dépassera les 5% du PIB en 2025 et devrait se maintenir au-delà de ce seuil en 2026 et 2027. Dans un environnement de polarisation extrême de la politique intérieure française, le nouveau Premier ministre, Monsieur Sébastien Lecornu, devra trouver rapidement un compromis en matière d’efforts budgétaires, tout en minimisant les effets de bord sur la croissance. L’adoption de mesures crédibles limitant la trajectoire haussière du déficit et de la dette publique (113% du PIB fin 2024 et attendue proche de 130% d’ici 2030, selon les dernières estimations du Fonds monétaire international) est essentielle. L’écart de taux à 10 ans entre la France et l’Allemagne n’a pas sensiblement progressé, mais retrouve cependant les points hauts enregistrés au cours des 10 dernières années, à un niveau proche de 80 points de base.

RTL

Source : Bloomberg, Banque de Luxembourg

La BCE mise sur le statu quo

La situation politique française complexe ne semble pas inquiéter actuellement la BCE, qui a rappelé qu’elle disposait d’outils - l’instrument de protection de la transmission - permettant des interventions sur le marché secondaire en cas de hausse injustifiée et désordonnée des coûts d'emprunt. La situation actuelle ne le requiert toutefois pas.

La Banque centrale européenne a dès lors maintenu sa politique monétaire inchangée avec un taux de dépôt à 2%. L’inflation - 2,0% sur base annuelle en août - retrouve un niveau en ligne avec la cible, et la trajectoire des indicateurs précurseurs PMI rassure. L’indice composite s’est amélioré (51,1 vs 50,6 attendu et 50,9 en juillet) grâce à un retour en territoire d’expansion du secteur manufacturier (50,5 points contre 49,8 le mois précédent), porté par le rebond des carnets de commandes, une première depuis plus d’un an. La zone euro fait preuve de résilience malgré le choc des tarifs douaniers et la forte hausse de l’euro. Les dernières projections économiques issues de la BCE ont d’ailleurs été revues à la hausse, avec une croissance attendue en 2025 à 1,2% (contre 0,9% attendu précédemment), 1% et 1,3% en 2026 et 2027. L’inflation est attendue sous les 2% au cours des deux prochaines années. Les pays du sud de l’Europe sont particulièrement dynamiques. Le Portugal, par exemple, vient de voir sa notation revue à la hausse par Fitch (rating A contre A-) grâce à une amélioration continue des finances publiques et une croissance solide, attendue légèrement sous les 2% en 2025, portée notamment par la robustesse du marché du travail.

Les actifs risqués bien orientés

Le marché mondial des actions a poursuivi sa progression durant les mois d’été, principalement porté par la thématique de l’intelligence artificielle. La concentration au sein du marché américain s’est encore accentuée, les dix premières capitalisations du S&P 500 représentant dorénavant environ 40% de l’indice. Les valorisations aux États-Unis paraissent toujours tendues, mais supportées par une croissance des bénéfices solide et une rentabilité élevée. Pour l’investisseur en euro, la baisse du dollar est toutefois très pénalisante, effaçant une grande partie des gains de début d’année.

Damien Petit, Responsable des investissements Banque Privée
Banque de Luxembourg

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