Le gouvernement français a décidé de poursuivre en justice le britannique Greybull, un repreneur "voyou" tenu pour responsable de la situation critique de l'aciérie Novasco menacée de liquidation. Une crise qui a des répercutions jusqu'en Lorraine.

Dans une interview exclusive à l'AFP, le ministre délégué chargé de l'Industrie, Sébastien Martin, a déclaré qu'il allait "saisir les tribunaux" contre le fonds d'investissement Greybull qui avait repris le métallurgiste en 2024 et n'a pas tenu ses engagements.

"Cela fait plus de dix jours que je discute avec Greybull sur la manière dont il entend accompagner les salariés de Novasco et assumer ses responsabilités. J'estime que j'ai aujourd'hui assez attendu qu'il me fasse des propositions concrètes et sérieuses et donc j'ai décidé de saisir les tribunaux", a-t-il déclaré quelques heures avant une décision sur le sort de l'ex-Ascométal.

La justice commerciale de Strasbourg doit rendre lundi matin à 9h sa décision, avec la reprise probable d'un seul site sur quatre, celui de Leffrinckoucke près de Dunkerque (Nord), ce qui devrait se solder par la perte de quelque 500 emplois.

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L'usine de Hagondange de l'aciériste Novasco, le 30 juillet 2025 en Moselle / © AFP/Archives

A la même heure, une assemblée générale est prévue à l'aciérie mosellane d'Hagondange, plus grand site du groupe avec 434 salariés, "pour discuter et voter des actions", indique Yann Amadoro, délégué syndical CGT, à l'AFP.

Car depuis mercredi, ils savent que c'est fini: l'offre favorisée, déposée par un consortium d'investisseurs réunis autour de Julien Baillon, à la tête de la PME ardennaise Métal Blanc, ne porte que sur l'acquisition de l'usine de Lefrinckoucke, près de Dunkerque, avait indiqué mercredi l'un des avocats du Comité central d'entreprise, Laurent Paté.

Les trois autres sites à Saint-Etienne, Custines (Meurthe-et-Moselle) et Hagondange (Moselle) seraient ainsi promis à la liquidation.

Sur un effectif total actuel de 696 salariés, seuls 144 salariés à Lefrinckoucke conserveraient leur emploi, selon M. Amadoro.

L'épilogue est particulièrement douloureux pour les métallos de l'usine de Moselle et tout le département déjà durement éprouvé par la désindustrialisation.

Vendredi déjà, près de 200 d'entre eux se sont mobilisés sur place, brûlant des pneus avant de lancer une opération escargot sur l'A31 entre Metz et le Luxembourg.

Des croix jaunes et rouges étaient posées contre le mur de Novasco à Hagondange, avec des pancartes où on pouvait lire "Voleurs", "Menteurs" ou "Que fait l'Etat".

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Des croix et des pancartes sur lesquelles on peut lire "Menteurs", "Que fait l'Etat" ou "Voleurs" sont installées devant l'usine de Novasco à Hagondange (Moselle), le 14 novembre 2025 / © AFP/Archives

88,5 millions dus aux salariés

Novasco, qui fabrique des aciers spéciaux, notamment pour le secteur automobile, en est à son quatrième redressement judiciaire depuis 2014.

Le groupe avait été repris en 2024 par le fonds d'investissement britannique Greybull Capital, qui avait promis d'y injecter 90 millions d'euros, tandis que l'Etat verserait 85 millions.

"Nous les avons apportés. Ce n'est pas l'État qui est en cause", a assuré le ministre.

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Le ministre délégué à l'Industrie, Sébastien Martin, à l'Assemblée nationale, à Paris, le 29 octobre 2025 / © AFP/Archives

"Greybull s'est engagé à apporter 90 millions d'euros, dont 15 millions d'euros en fonds propres. Il n'en a apporté que 1,5 million. J'estime qu'il doit aux salariés, aux habitants d'Hagondange (l'un des sites menacés de fermeture, ndlr) et à tout ce territoire 88,5 millions d'euros", a souligné Sébastien Martin.

Sauver le foncier

"À partir de lundi ou mardi, je vais engager toute action utile sur le plan tant civil que pénal afin de mettre en cause la responsabilité de Greybull qui n'a pas tenu ses engagements dans le cadre de la reprise de Novasco", a-t-il ajouté.

"L'impunité pour les fonds d'investissement (...), c'est terminé. Par ailleurs, nous soutiendrons toute procédure judiciaire qui serait engagée par les salariés et je sais qu'ils y travaillent", a lancé le ministre. "L'État est aux côtés des salariés lorsqu'ils sont face à des gens qui se comportent comme des voyous".

Dans l'avenir, il a promis de rester "vigilant" face à des fonds d'investissement "qui n'auraient pas de projet industriel sérieux".

Quant à l'avenir de Novasco, il se fixe pour objectif dans un premier temps de "maîtriser le foncier du site industriel et ne pas le laisser partir à la découpe". Puis "trouver des investisseurs sérieux".

Une reconversion vers les activités militaires? "C'est trop tôt pour en parler".

Entre les deux offres de reprise partielle déposées, celle de l'industriel français Europlasma et celle d'un consortium d'investisseurs réunis autour de Julien Baillon, à la tête de la PME ardennaise Métal Blanc, l'Etat préfère "clairement" le deuxième en raison de la "solidité du projet industriel", a-t-il précisé.

Même constat côté salariés: lors d'une audience à huis clos mercredi devant la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Strasbourg, l'offre de Métal Blanc a paru "plus sérieuse" que celle d'Europlasma, a déclaré l'un des avocats du comité central d'entreprise, Laurent Paté.

Europlasma dans le collimateur?

Interrogé pour savoir si une nationalisation était envisageable, le ministre a répondu "non".

Ce scénario inédit d'action en justice va-t-il s'appliquer aussi à la Fonderie de Bretagne qui a déclenché la semaine dernière un droit d'alerte économique, manifestant son "manque de confiance" envers le nouvel actionnaire, Europlasma?

"Ce n'est pas forcément ce que je souhaite pour Europlasma", a assuré Sébastien Martin. "Un comité de suivi aura lieu cette semaine pour clarifier les intentions de l'investisseur (...) Les gens qui signent des contrats doivent assumer leurs responsabilités et suivre ces contrats. On verra bien", a-t-il conclu.