
Ses incroyables portraits ont fait le tour du monde. Comme lui pour les réaliser. À compter d'aujourd'hui et jusqu'au 29 juin, le photographe allemand Jan Christopher Schlegel expose à La Vitrine Ephémère à Metz. Rencontre.
"Une bonne photo n'est pas juste une belle image. Ça ne suffit pas en soi. Elle doit appeler des émotions", pose d'emblée Jan Christopher Schlegel. Le bonhomme est aussi hirsute et d'un naturel jovial que ses œuvres d'art sont léchées et empreintes d'une certaine dureté, celle des tribus ancestrales qui se battent pour survivre. Voilà plus de quinze ans qu'il part à leur rencontre au cœur des steppes, au milieu des déserts et au bord des rivières, avec sa tente et...sa chambre photographique, un gros appareil photo où on voit le "tableau" à l'envers.
Il en a ramené une belle sélection baptisée "Essence", accrochée à l'endroit à La Vitrine éphémère, place de la Chèvre à Metz. Une belle occasion pour découvrir un travail dont les visages et corps photographiés, mais surtout la finesse des tirages platine, confèrent aujourd'hui à Jan C. Schlegel, une renommée mondiale, une reconnaissance de ses pairs.

© Matthieu Kedzierski
Rendant hommage au photographe qui capte la beauté des âmes et à travers elles, l'essence des peuples menacés de disparition par le monde moderne, l'anthropologue Rubén G. Mendoza écrit que "Schlegel s'engage absolument à capturer l'esprit de chaque sujet à travers une contemplation étudiée des individus, des visages, des vêtements, des ornements et des yeux qui font écho aux fenêtres de l'âme d'une communauté". Une description qui colle bien avec ce que l'on peut ressentir face aux clichés de Schlegel. Face à ces regards qui interpellent.
Lui-même ne se définit pas comme un ethnologue, accepte que ses pairs le qualifient d'alchimiste, veut bien que le grand public le considère comme un artiste, mais se voit surtout comme "quelqu'un qui a envie de parler à travers la photographie et de montrer quelque chose d'exceptionnel. En montrant qui je suis et ce qui est important pour moi".
Jan C. Schlegel, 55 ans, originaire de la Forêt Noire et père de trois enfants, parle avec cette tranquillité de l'expérimentateur qui est allé au bout de son idée et des baroudeurs qui ont roulé leur bosse dans les endroits les plus improbables pour en revenir remplis de rencontres.
HISTOIRE HUMAINE D'UNE PHOTO "LONGUE HALEINE"
Comme celle de Biwa, l'homme sans âge d'une tribu éthiopienne Kara, un peuple qui a développé des techniques sophistiquées de survie dans un environnement hostile et vers lequel Jan C. Schlegel a fait "vingt-cinq fois le voyage en Ethiopie du Sud".
"Avec Biwa, nous étions de bons amis. Un jour il est revenu du fleuve avec un crocodile. Moi, j'étais subjugué par cette vue! Mais je devais repartir le lendemain matin", se souvient Jan C. Schlegel, sans défaitisme dans la voix. Il accepte juste le cours des choses.

© Jan C. Schlegel
Son secret, c'est ça. Ne pas se précipiter, mais prendre le temps nécessaire pour comprendre, dialoguer, échanger, et ensuite composer. Jan C. Schlegel revient voir Biwa "deux mois plus tard" avec une idée bien définie en tête "mais ça n'a pas marché". Entendez: Biwa n'a pas chopé de croco. L'idée de la photo est tombée à l'eau. Qu'à cela ne tienne: "La quatrième fois, il est revenu avec un crocodile sur l'épaule. J'ai sorti l'appareil et installé un studio au milieu du village et on a fait la photo".
C'était en 2009, elle a fait le tour du monde depuis. Biwa est parti rejoindre ses ancêtres. Une maladie. Sa tribu a disparu. Évanouie. À sa place, le monde du profit. Jan ne condamne pas. Il constate.
De la patience, du respect, des liens authentiques, parmi les ingrédients de la recette Schlegel qui donne au rendu final ce grain "à fleur de peau", il y a évidemment le sel: la lumière! "J'utilise toujours 50% de lumière naturelle et 50% de lumière du flash, elle donne l'énergie et les contrastes".
Interrogé non pas sur le "langage de la photographie" dont il maîtrise la grammaire, mais sur le message qu'il souhaite, au fond, transmettre, Jan C. Schlegel répond que "nos vues sur le monde s'agrandissent. Aujourd'hui, il faut redéfinir la beauté. Elle est beaucoup plus importante pour l'Homme qu'il ne le pense. Je veux montrer cette beauté, mais aussi la dignité, les valeurs, l'Amour". Il sourit avec ses yeux clairs.

© Jan C. Schlegel