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Selon son maire, la ville de Mont-Saint-Martin est "à genoux" après les émeutes qui lui ont coûté plusieurs bâtiments et services publics.
Des cahiers d'écoliers calcinés, des blocs de béton empêchant l'accès à la mairie incendiée, un centre pour autistes sérieusement dégradé... Mont-Saint-Martin, "à genoux" selon son maire, porte les stigmates des violences urbaines qui ont perduré jusque dans la nuit du 13 au 14 juillet, dans un contexte social marqué par des inégalités.
"La ville est à genoux", déplore Serge De Carli dans le hall de sa mairie dévastée, après plusieurs nuits d'émeutes dans cette commune de Meurthe-et-Moselle d'environ 10.000 habitants, limitrophe du Luxembourg et de la Belgique. En deux semaines, neuf bâtiments publics y ont été brûlés ou saccagés.
"Bon courage Monsieur le maire, vous avez notre soutien", glisse en passant une administrée. Marc Grandfils, 51ans, travailleur transfrontalier habitant dans la commune depuis 25 ans, se dit lui "attristé", constatant que les dégradations "augmentent" tous les jours. "Je ne comprends pas qu'il y ait des jeunes livrés à eux-mêmes", qui "puissent détériorer comme ça".
Mont-Saint-Martin est d'ordinaire plutôt tranquille, avec d'un côté de la ville des maisons individuelles avec jardinet, de l'autre des maisons mitoyennes côtoyant des immeubles, dans le quartier du Val, où vivent 4.000 personnes.
À proximité de la mairie, des carcasses de voitures calcinées sont encore visibles. Environ 70 véhicules ont brûlé ces derniers jours. Celle du fils de Marilia Teixiera, 41 ans, stationnée tout près de l'école primaire incendiée le 13 juillet, est partie en fumée. "On a un peu peur", confie-t-elle.
Un frontalier de Mont-Saint-Martin blessé
Dans le quartier du Val, que les jeunes appellent la "ZUP" (zone à urbaniser en priorité), plusieurs se sont identifiés à Nahel, tué par un policier à Nanterre fin juin: "ça aurait pu nous arriver à nous, à nos frères", témoigne Abdel*, 18 ans, avec ses amis sur un trottoir du quartier, entouré de verdure. Quelques mètres plus loin, l'herbe est noircie: un soir, des jeunes y ont mis le feu.
Dans la nuit du 29 au 30 juin, un habitant de la "ZUP", âgé de 25 ans, rentrait du travail en voiture et s'est trouvé au milieu des émeutes lorsqu'il aurait, selon ses proches, été touché par un tir du Raid. Une enquête est en cours et la victime, Aimène Bahouh est toujours hospitalisée dans un état préoccupant.
À Mont-Saint-Martin, des tags "justice pour Aimène" ont rejoint ceux en hommage à Nahel. Des jeunes racontent avoir été, ce même soir, "encerclés" par le Raid, "caché dans des buissons", qui "tirait ou piétinait" certains d'entre eux. "Pourtant, jamais on ne va voler, taper, comme ça se passe à Paris ou à Marseille, on a été bien élevés", assure Jules*, 21 ans.
Pour la jeunesse de cette zone prioritaire, les difficultés sont systémiques: "On a moins de structures, (les politiques) n'investissent plus dans le service jeunesse", déplore Geoffrey*. "Il n'y a rien pour les jeunes, ni pour les petits", assure-t-il, regrettant que le vieux city stade délabré n'ait pas été remplacé. "Alors ils s'amusent comment? Ils brûlent, ils vendent de la drogue, il ne faut pas s'étonner".
"On a vu nos services publics petit à petit se dégrader"
Serge De Carli met au contraire en avant l'ouverture de nombreux projets, comme l'ouverture d'une crèche, "la ville se développe beaucoup, elle gagne de la population", souligne-t-il. Mais avec trois millions d'euros de dégâts sur la commune ces derniers jours, les financements, déjà compliqués en temps normal, deviennent impossibles.
"On a vu nos services publics petit à petit se dégrader", note-t-il encore, avec la Poste fermée depuis un an et demi. Mont-Saint-Martin ne compte plus un seul médecin généraliste. L'hôpital "recrute au Liban des infirmières que nous devons loger, puisqu'il n'y a plus d'infirmières: elles partent au Luxembourg", comme de nombreux autres professionnels.
La paupérisation progresse fortement, avec un "revenu annuel moyen par foyer de 9.800 euros, soit 830 euros mensuels, avec 30% de travailleurs transfrontaliers" qui eux gagnent bien davantage. La tension immobilière est aussi très forte.
Des éducateurs de rue et autres acteurs de terrain avaient senti, dès la fin mai, un climat "pré-insurrectionnel", assure le maire, qui en avait fait part à Beauvau. "Malheureusement, nous ne nous sommes pas trompés"...
M. De Carli a invité Emmanuel Macron à venir pour la réouverture de la mairie, dans une phase "de reconquête républicaine". Dans sa lettre, il évoque les "souffrances silencieuses" d'habitants. Toutefois, pour Geoffrey, "Macron, il ne fait rien pour la France, il ne fera jamais rien pour Mont-Saint-Martin".
* Les prénoms ont été modifiés