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Seniors, il va falloir s'activer: la Commission européenne recommande de reculer l'âge de départ à la retraite à 72 ans au Luxembourg. Vous avez dit farfelu? Hélas, la réalité risque de vite rattraper la fiction.
Faire passer l'âge légal de départ à la retraite au Luxembourg, actuellement de 65 ans, à 72 ans... L'idée suffirait à donner des cheveux blancs à la plupart des travailleurs.
C'est pourtant une recommandation tout à fait sérieuse émanant de la Commission Européenne. Dans son "Livre vert sur le vieillissement" publié en début d'année, l'institution se penche sur "la solidarité et la responsabilité entre générations". Traduction: masses laborieuses, il va falloir s'activer, car vous ne travaillez pas assez.
Au Luxembourg, les raisons sont connues depuis longtemps: la population vieillit, l'espérance de vie augmente et la natalité diminue. Sans oublier le boom des frontaliers, une manne qui va aussi finir par coûter cher au Luxembourg (lire par après)... Tout cela forme un cocktail explosif pour le système de pension, car la population active n'est plus assez nombreuse pour cotiser pour les retraités.
PROLONGER LA VIE ACTIVE JUSQU'À 72 ANS
Pour y remédier, la Commission Européenne préconise un traitement de choc: "L’allongement de la vie professionnelle est une réponse essentielle à cette situation. Selon les dernières projections démographiques d’Eurostat, le taux de dépendance économique des personnes âgées en 2040 dans l’UE resterait au même niveau qu’en 2020 uniquement si la vie active était prolongée jusqu’à l’âge de 70 ans."
Ce taux de dépendance économique des personnes âgées mesure le rapport entre la population qui est en âge d'être en retraite et celle qui est en âge d'être active: lorsque la première population dépasse la seconde, ce taux devient défavorable, et les ennuis commencent.
Pour l'instant, le Luxembourg fait figure de très bon élève. Il dispose du taux de dépendance économique le plus bas d'Europe (22%), contre 39% pour l'Italie par exemple. Cela montre une forte proportion de travailleurs en âge de travailler pour soutenir économiquement les populations seniors. Une bonne nouvelle? Oui, mais à court terme. Car l'avenir s'annonce beaucoup moins rose.
En témoigne le rapport qui liste plusieurs pays qui vont devoir reculer drastiquement leur âge de départ à la retraite: "il devrait passer à 68 ans seulement à Malte, en Hongrie et en Suède, tandis qu’il devrait être porté à 72 ans en Lituanie et au Luxembourg" prévient la Commission Européenne.
LE LUXEMBOURG, UN TRÈS BON ÉLÈVE... POUR L'INSTANT
Comment le rapport peut-il préconiser un traitement si radical pour le Luxembourg, alors que les signaux sont actuellement au vert?
En 2019, le directeur de la Fondation Idea (un think tank de la chambre de commerce), relevait ce paradoxe: "On a un excédent de plus de 1% du PIB pour le régime de pension, et ces excédents alimentent un fond de compensation qui est de l’ordre de 34% du PIB. Donc oui, la situation est confortable à court terme. Mais à long terme, il y a péril en la demeure" prévenait Muriel Bouchet.
Preuve en est cette comparaison internationale qui prédit que d’ici 2070, le Luxembourg va devenir le pire pays européen en matière de part de pension dans le PIB (de 9% actuellement à 18% en 2070).

Cette explosion est liée au fameux cocktail explosif mentionné plus haut, notamment au vieillissement de la population. Certes, le Luxembourg fait déjà des efforts. En 1994, on ne comptait que 11% de travailleurs âgés de 50 ans et plus dans les entreprises du pays. En 2018, ce groupe d’âge a grimpé à 25%. Mais le taux d’emploi de la population âgée de 55 à 64 ans n’était que de 39,8% en 2017, bien en dessous de l’objectif de 50% recommandé par l’OCDE.
Mais Muriel Bouchet mentionne aussi un autre sujet sensible: l'afflux de frontaliers. "Loin de moi l’idée de dénoncer la contribution des frontaliers, qui est très positive et qui explique les excédents dont on profite actuellement", mais à terme, poursuit-il, il faudra aussi payer les pensions de plus en plus nombreuses de ces frontaliers.
Le montant des pensions exportées à des bénéficiaires non-résidents a ainsi plus que doublé de 2010 à 2019, passant de 609 millions à 1,3 milliards d'euros. Et ce n'est que le début.
MULTIPLIER LE PIB ET LE NOMBRE DE FRONTALIERS
La Fondation Idea enfonce le clou avec deux chiffres édifiants:
- si on veut pouvoir financer l'actuel système de pension jusqu'en 2070, il va falloir que notre PIB soit multiplié d'ici là... par huit. Soit le PIB actuel de la Belgique.
- Une croissance de 5% par an serait nécessaire pour amortir cette explosion, donc une hausse conséquente de la productivité. Or, à moins que les prochaines générations ne se décident à pondre que des quintuplés, cela veut dire… 1,7 millions de frontaliers en plus d’ici 2070. Pour continuer à circuler au Luxembourg, il va vite falloir généraliser le télétravail (et les voitures volantes).
Bref, on l'aura compris, le sujet est une véritable bombe à retardement. Pour l'éteindre, des économistes préconisent l'augmentation de la durée et du montant des cotisations retraites, la diminution de certaines allocations et du rendement des grosses pensions.
Autant de mesures impopulaires qui risquent surtout d'allumer la mèche d'une autre bombe, sociale cette fois. En attendant, jusqu'ici, tout va bien...
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