Sur les réseaux sociaux, de jeunes femmes mettent en scène leur mode de vie "tradwife" (épouse traditionnelle en français). Un mouvement qui prend sa source aux États-Unis et construit petit à petit son nid de l'autre côté de l'Atlantique. Rencontre à Metz avec Tamara et Lara.

"Des manières pratiques de faire plaisir à votre mari aujourd'hui", "Comment se soumettre à son mari", "5 conseils pour être plus féminine", "L'art de la conversation, c'est aussi savoir se taire", "Apprenez à mériter son amour. Obéissez-lui, servez-le et aimez-le inconditionnellement", ce n'est qu'un petit aperçu des contenus que l'on trouve sous le hashtag tradwife sur TikTok et Instagram. Lorsqu'on navigue sur les réseaux à la recherche de cette communauté, on a comme l'impression de faire un saut dans le temps.

Sur TikTok, le hashtag tradwife cumule 131.7 millions de vues. La communauté "tradwife" s'est bien bâtie et attire de plus en plus de très jeunes adeptes et curieuses prêtes à sauter le pas, et c'est un sacré pas en arrière, puisque le mouvement s'inspire fortement des années 50. Modestie, humilité, obéissance et discrétion sont les mots d'ordre de ce mouvement traditionaliste.

Mais qui sont ces femmes qui adoptent des valeurs et style de vie qui vont à l’encontre de la "femme moderne" et qui se disent "antiféministes"? Face à nombre d’injonctions faites aux femmes et la pression de réussir sur tous les fronts, certaines décident en effet de nager à contre-courant et de se consacrer à temps plein à leur foyer pour se délester d’une charge mentale devenue trop pesante. La tradwife ne se résume cependant pas à une femme au foyer. Elle embrasse corps et âmes ce mode de vie et adopte des valeurs ultra-conservatrices. Souvent fortement liées au catholicisme et à l’extrême-droite, ces femmes prônent un "retour aux sources" avec l’assignation de rôles bien genrés et ont tendance à diaboliser la modernité et les combats actuels des féministes.

Majoritairement présents aux États-Unis, les membres du mouvement sont également de plus en plus visibles en Europe, comme en France.  Mais quel est au juste ce style de vie?

Nous sommes partis à la rencontre de deux tradwives à Metz. Tamara et Lara, jeunes étudiantes, leur mode de vie semble d’autant plus surprenant qu'elles ne sont âgées que d'une vingtaine d'années. Autre point commun, leur présence sur les réseaux sociaux.

RÉACTION À UNE CHARGE MENTALE TROP FORTE

"On est toutes passées par une volonté carriériste sauf qu’on voit que c’est beaucoup nous demander: le travail, les enfants, etc. Il y aura forcément un truc qui sera mal fait". Tamara, étudiante en licence d'histoire de 26 ans, rêve d'avoir beaucoup d'enfants et se consacrer à son foyer, même si elle admet que la réalité économique la forcera sans doute à avoir un emploi, au moins à mi-temps.

"Le plus gros problème pour les femmes aujourd’hui c'est qu'il faut répondre à toutes les injonctions. Le féminisme demande toutes les qualités du monde, il faut accepter qu’on a tous des différences", nous souffle la jeune femme.

Lorsque nous demandons à Lara (voir la vidéo Instagram ci-dessus), étudiante de 21 ans en licence de théologie, ce qu’est une femme, elle nous répond que "la femme c’est la modestie, l’obéissance, c’est-à-dire écouter son mari, le patriarche, et l’humilité", humilité que les femmes perdraient beaucoup de nos jours.

La femme au foyer et l'homme au bureau : tel est leur schéma idéal pour les couples. Selon les tradwives, les femmes seraient en effet naturellement plus dans l'affect, tandis que les hommes, dans le rationnel. Un discours qui semblait pourtant bien dépassé, mais qui paraît regagner du terrain.

En plus de ces valeurs morales, la vie en tant que tradwife s'accompagne d'un code vestimentaire: robes et jupes en-dessous du genou sont leurs habillements de prédilection.

"On est différents, on n’est pas égaux, que ce soit de l’acquis ou de l’inné, ça a du bon, ça permet de ne pas se concentrer sur tout à la fois. On demande aux femmes de tout faire à la fois. On ferait mieux de tout découper, dire toi tu es ça et toi tu es ça, je pense qu’on serait gagnants à avoir des différences et les maintenir", explique ainsi Tamara.

"OUI, LES FEMMES ONT UNE CHARGE MENTALE TROP IMPORTANTE, MAIS LEUR SOLUTION N'EST PAS LA BONNE"

Pour tenter de décrypter le phénomène et expliquer les raisons qui poussent de plus en plus de jeunes femmes à ce retour en arrière, nous avons interrogé Isabelle Schmoetten de l'asbl CID Fraen an Gender, lieu de rencontre féministe, qui y travaille depuis 2018 et en est la chargée de direction depuis janvier.

Isabelle Schmoetten rejoint ces femmes traditionnelles sur la question de la charge mentale. Les femmes ont en effet trop de responsabilités à gérer de nos jours, mais la solution adoptée et promue par les tradwives ne serait pas sans dangers.

RTL

Certaines tradwives disent choisir librement de rester dans l'ombre, en retrait des valeurs et des exigences modernes. / © StockSnap de Pixabay

"Le point le plus important c'est que ces femmes-là montrent qu’il y a un problème dans notre société actuelle, un grand problème, c'est un mensonge de dire qu'on peut combiner la vie familiale et le travail. Beaucoup de féministes ont lutté pour que les femmes puissent travailler, mais l'idée initiale n'était pas que tout le monde travaille et que les enfants aillent à la crèche. L'idée c'était que la femme et l'homme travaillent moins et se répartissent les tâches du foyer qui seraient rémunérées". "Avec ce type de questions complexes, il n'y a pas de noir et blanc, elles ont raison de dire que les femmes ont une charge mentale trop importante et qu'elles ne peuvent pas tout gérer. Mais leur solution n'est pas la bonne."

UN REGAIN DES STÉRÉOTYPES DE GENRE POUR PALLIER LA CHARGE MENTALE ?

Alors que les mouvements féministes se battent pour déconstruire les stéréotypes de genre depuis des années, les tradwives promeuvent un retour aux assignations de rôles genrés.

Même si Tamara et Lara insistent sur le fait que les hommes peuvent bien sûr aussi s'occuper du foyer, et que selon elles, les femmes ne sont finalement pas si soumises que ça, il revient souvent à travers ce mouvement l'idée que les femmes seraient naturellement plus adaptées aux tâches domestiques.

Les questions de genre sont donc au cœur de cette mouvance. "Je suis complètement fermée aux questions de genre", déclare par exemple Lara, "à vouloir tout déconstruire, on se débarrasse d'éléments qui rendent une société viable". À en croire les propos véhiculés par le mouvement, les rôles genrés seraient donc nécessaires au bon fonctionnement de la société, société qui se compliquerait trop la vie en remettant en question le sexisme et la domination masculine.

"Construire une maison ça ne donne pas envie à une femme, alors que la décorer, si", affirme Lara, "les hommes d’aujourd’hui ne sont plus des hommes, ils ne sont pas aptes à gérer un foyer. Il faut reconstruire la virilité, respecter la vocation de l’homme qui est de rapporter l'argent à son foyer, construire, bricoler. Les hommes sont aussi plus à l'aise dans tout ce qui concerne les connaissances mathématiques". Ces propos reflètent les valeurs de Lara, teintées de conservatisme, catholicisme et traditionalisme.

Des valeurs qui s'opposent au monde moderne qui a prouvé, explique Isabelle Schmoetten, que "les hommes peuvent aussi bien s’occuper d’un nourrisson que les femmes" et donc que"ce ne sont pas les gènes qui sont en jeu" dans cette répartition des tâches.

UN MOUVEMENT DANGEREUX POUR LES ENFANTS ?

Chacun est libre de ses choix, pourrait-on dire, mais la propagation du phénomène via les réseaux sociaux risque bien d’engendrer un effet de mode, et convaincre de très jeunes femmes de se consacrer à ce mode de vie. Or, comme le souligne Isabelle Schmoetten, les femmes qui choisissent cette voie ont le risque de se retrouver sans rien, en cas de séparation avec leur conjoint, "ça peut être très émancipateur de dire moi je reste à la maison, mais il y a un risque de dépendance financière".

Et il ne faut pas oublier les enfants, qui peuvent être grandement impactés par ce style de vie: "Ce genre de mouvements avec ce type de valeurs, c'est surtout dangereux pour les enfants. Tout ce qui est orientation sexuelle, identité de genre, si on a des parents comme ça qui sont ultra sévères dans tout ce qui est stéréotypes de genres, rôles genré", cela pourra empêcher les enfants de se développer librement et pleinement, craint-elle.

Par ailleurs, selon Isabelle Schmoetten, beaucoup d'hommes aujourd'hui sont déçus de l'évolution des femmes, de leur émancipation, "donc ils cherchent une esclave sexuelle ou une mère ou même les deux".

UN MOUVEMENT ANTIFÉMINISTE

"L’égalité en droit, on l’a, il reste la violence faite aux femmes, mais il y en a envers les hommes aussi" renchérit Tamara. "Ce n'est pas le militantisme qui pourra changer les choses, si elles n’ont pas changé jusque-là, elles ne changeront plus, je pense qu’il faudrait juste se taire."

Lara la rejoint, pour elle "le féminisme est arrivé pour des raisons spécifiques qui étaient nécessaires, légitimes. Par contre aujourd'hui, je pense que beaucoup de combats sont inutiles, avec des revendications typiquement liées au libéralisme. Alors que les femmes sont, je trouve, bien traitées." Le féminisme ne serait donc plus utile, au contraire, ses combats seraient contre-productifs.

Des reproches que peine à entendre Isabelle Schmoetten: "Une femme sur trois subira du harcèlement sexuel dans sa vie. Et une famille monoparentale sur deux, dont plus de 80% sont des femmes, risque de tomber sous le seuil de pauvreté. Au niveau mondial, on a des problèmes de mariages forcés, des femmes qui ne peuvent pas sortir seules. Tout ça, c'est connecté. Non, on n’a pas atteint l'égalité."

Même si cette mouvance s'inspire fortement des années 1950, Isabelle Schmoetten tient à rappeler un point important : le fait que ces femmes ont choisit cette voie, cette subordination, contrairement aux femmes des années 1950 qui, elles, y étaient bien souvent contraintes.

Si vous êtes tradwife et que vous vivez au Luxembourg, n'hésitez pas à nous contacter pour témoigner, via le mail suivant: 5minutes@rtl.lu