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Près de 15% de la population vit avec un handicap et n'a pas accès de la même manière que la grande majorité aux contenus des pages web ou aux applications mobiles de l'Etat ou des communes. Les experts en accessibilité numérique du SIP reconnaissent que cet accès s'améliore, mais qu'on est encore loin du compte.
Imaginez un instant que votre téléphone portable ou votre écran d'ordinateur fonctionne très bien, mais que vous ne puissiez pas accéder à toutes les informations, comme tout le monde. Juste parce que vous ne voyez plus bien, que vous êtes aveugle, êtes devenu malentendant, sourd, ou parce que vous ne pouvez pas vous servir de vos doigts. Ça peut tout simplement être lié à l'âge.
Le site internet ou l'application mobile du service public que vous consultez est 100% lisible pour votre voisin, mais pas pour vous. Alors même que vous avez une technologie d'assistance et que, par exemple, une voix pourrait très bien lire le texte que vous ne pouvez voir. C'est tout simplement parce qu'à la base, les concepteurs n'ont pas pensé à rendre "accessible" leur site ou app aux utilisateurs qui ont un petit ou un grand handicap.
En pratique, ça donne une barre de menu qui ne peut être lue par un lecteur d'écran et qui n'est donc pas accessible aux aveugles. Une page web qui est mal structurée de sorte qu'une partie de l'information échappe aux personnes avec un handicap. Ou des PDF qui ne sont pas accessibles, comme c'est le cas sur la plupart des sites publics.

"C'est à la fois un travail technique et de communication pour faire le maximum pour inclure les gens", résume Francis Kaell, patron de la cellule du SIP qui scrute de près les progrès de l'accessibilité numérique au Luxembourg. / © Shutterstock
"Un accident de la vie, ça peut arriver demain. Et même si la personne concernée n'est que légèrement blessée et peut espérer se remettre d'aplomb au bout de quelques semaines, ou de quelques mois, et bien pendant tout ce temps, elle sera très heureuse que les développeurs aient pensé à elle pour qu'elle puisse continuer à travailler", explique Alain Vagner, expert en accessibilité numérique au Service information et presse (SIP).
Ou tout simplement pour que cette personne puisse planifier un déplacement via mobiliteit.lu, trouver des offres d'emplois au Luxembourg par govjobs.lu, faire toutes ses démarches administratives via guichet.lu ou encore faire les démarches liées à sa santé grâce à CNS.lu, par exemple.
15% de la population concernée
"Il y a beaucoup plus de gens qu'on pense" qui sont touchées par le fait que les contenus des sites web et apps de l'État, des communes et des organismes du secteur public ne soient pas totalement accessibles. Comme partout en Europe, "on estime à 15% la population atteinte d'un handicap au Luxembourg", pose Francis Kaell, responsable de la division Open Data et accès à l'information au SIP.
Implantée dans des bureaux avec vue sur la place de la Constitution, au cœur de Luxembourg-Ville, cette cellule a pour mission de contrôler l'accessibilité des sites et des applications mobiles publics et de pousser les services publics à rendre leurs plateformes numériques utilisables par tous. Comme l'exige la loi sur l'accessibilité numérique instaurée en mai 2019. Car chaque citoyen a le droit de demander à l'administration publique la possibilité d'accéder à une information en ligne.
Des solutions existent: "C'est à la fois un travail technique et de communication pour faire le maximum pour inclure les gens", résume Francis Kaell. Pour rendre par exemple une page audible, en différentes langues, "il y a des astuces techniques simples qui consistent à rajouter des attributs de langue dans le code HTML de page web", explique Dominique Nauroy, expert en accessibilité numérique. Mais les Sherlock Holmes du SIP ont du pain sur la planche. Le pays compte près de 900 sites web et apps de services publics et un seul est aujourd'hui 100% conforme à l'accessibilité numérique demandée par la loi !
Une centaine d'audits par an
En France, plusieurs sites publics sont déjà 100% accessibles comme celui du Service public en France, de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, ou celui de la Ville d'Angoulême, capitale de la BD. Au Luxembourg, il y a moins d'exemples "parfaits", mais globalement les services publics sont plus soucieux de mieux faire. "La bonne nouvelle, c'est qu'année après année, les sites qu'on audite ont globalement un score de conformité qui s 'améliore", positive Dominique Nauroy.
Pour juger des améliorations, la cellule du SIP enquête et mène "plus d 'une centaine d'audits par an" et une bonne quinzaine de sites sont la cible d'un audit approfondi. Ses experts consultent leurs partenaires qui travaillent dans le monde du handicap pour choisir les sites qu'il est le plus pertinent d'auditer. En début d'année, l'équipe du SIP rend public l'échantillon des sites qui seront audités l'année suivante. Ce qui signifie que les sites ont une année pour se corriger avant l'examen.

© Source: SIP
En 2021, la moyenne de conformité des sites était aux alentours de 44 %. "L'an dernier, cette moyenne, s'est s'établie à 61 %. Cela veut quand même dire qu'en quatre ans, on a gagné 17 points de pourcentage. Donc l'accessibilité est prise au sérieux par les acteurs du service public", relève Dominique Nauroy.
61% de conformité c'est bien, mais c'est loin des 100% exigés par la loi. Et c'est tout à fait possible comme l'a montré le SIP "sans y passer des mois". Le Portail de l'accessibilité numérique montre l'exemple. Il coche les 136 critères de conformité et peut aujourd'hui être vu, lu ou entendu par quiconque, dans son intégralité.
De l'émulation entre les administrations
Que l'audit soit bon ou pas, il donne lieu à une réunion entre les responsables du site web ou de l'app passés à la loupe, le SIP et un expert accessibilité pour faire le point et surtout avancer. Mais ce n'est pas toujours simple: "Parfois ça dépend de technologies connexes comme l'authentification obligatoire via LuxTrust. Les développeurs d'un site qui font appel à un service externe qui n'est pas accessible n'y peuvent rien", comme l'explique Francis Kaell.
Sur les sites Internet ça va donc dans le bon sens, mais "cette progression, elle n 'est pas encore à l'oeuvre dans les applications mobiles". Depuis que le SIP scrute les applis, c'est-à-dire depuis 2020, "il n 'y a pas vraiment de progression perceptible". Une des raisons est que le développement d'une application, pour qu'elle soit accessible, "est peut-être plus complexe que le développement d'un site web: les technologies sont différentes et elles sont un petit peu plus récentes. Un degré de complexité s'ajoute encore puisque les développeurs doivent créer une application Android, une autre pour IOS, souvent codées avec des langages différents, explique Dominique Nauroy.

Conduite par Francis Kaell (au centre) et incarnée par ses experts Dominique Nauroy (à gauche) et Alain Vagner, la division Open Data et accès à l'information du SIP audite une centaine de sites publics par an. / © Maurice Fick / RTL
"Globalement, on voit quand même de l'intérêt pour la démarche et une émulation entre les différentes administrations. Le fait qu'on publie maintenant ces rapports a un effet sur la communauté. Des gens sont venus vers nous pour nous dire qu'ils sont intéressés. Ils ont fait des choses. On a vu les résultats", relève Alain Vagner. Il cite les exemples des sites internet de la Chambre des députés, "dans lequel a énormément été investi ces dernières années pour l'accessibilité" et celui de la Ville de Luxembourg, car "tous se sont deux décidés à aller plus loin dans le classement".
Bientôt un Observatoire de l'accessibilité
Le SIP planche en coulisses sur la création d'un Observatoire de l'accessibilité pour mettre en valeur les efforts réalisés par les administrations et rendre public leurs audits qui seront évidemment vérifiés par les experts du SIP. "Il existe une première ébauche de cet Observatoire", confie Francis Kaell, avant de lâcher qu'il verra le jour "cette année encore".
Sa création doit aider à "sensibiliser encore davantage les parties prenantes du secteur public. Ça va alimenter une dynamique au fur et à mesure que les audits sont faits".
L'accessibilité numérique, est une avancée pour tout le monde. Y compris "pour ceux qui ne sont pas handicapés aujourd'hui. Mais pour quand on sera âgé", fait remarquer Alain Vagner. "C'est ça, notre travail: Essayer de faire en sorte que dans ce monde virtuel on fasse mieux que dans le réel pour passer les obstacles", résume avec philosophie Francis Kaell.