La nuit tombée, à l'abri des regards, ou presque, un groupe pas comme les autres sillonne la ville. Les colleuses, un collectif militant qui affiche des slogans féministes dans les rues du Grand-Duché. Leur mission? Alerter l'opinion publique, une lettre à la fois. RTL les a suivies le temps d'une séance de collage.

"Qui connaît une femme qui n'a pas été victime d'agression sexuelle?", lance l'une des militantes. "Rien qu'en venant ici, je me suis fait accoster par un mec", ajoute une autre. Les colleuses arrivent au compte-goutte, des piles de feuilles A4 comportant chacune une lettre imprimée dessus. "T'as ramené quels slogans?", (...) "D'accord, super, on va tous les préparer". Les slogans sont organisés, lettre après lettre, puis disposés dans des pochettes. "On a un drive en commun avec les différents slogans à imprimer", m'explique une des colleuses. Elles préparent rapidement la colle, déposent les pochettes de slogans dans des sacs de courses, quelques pinceaux durcis, une éponge, et c'est parti direction le tram.

"On a souvent eu des ennuis avec les flics". Ce soir, elles seront six à arpenter les rues du Kirchberg, elles sont en tout une dizaine de membres actives. Cette fois-ci, elles ne colleront que sur des surfaces en construction, la police les y a autorisées. Une des manifestantes m'explique qu'elle ne peut plus prendre le risque de réaliser des collages illégaux: "Avec mon travail, c'est trop risqué, il ne faut pas avoir de casier".

Cela fait cinq ans que des messages féministes apparaissent sur les murs du Luxembourg, des messages volontairement frappants, parfois heurtants, pour marquer les esprits et sensibiliser aux plus grandes problématiques auxquelles font face les femmes. Durant la pandémie, m'explique-t-on, les actions des colleuses se sont démocratisées en Europe, une conséquence directe de l'augmentation des violences domestiques pendant les périodes de confinement.

Selon une étude du Statec parue en 2022, durant les douze mois précédant l'étude, 20% des femmes âgées de 16 à 74 avaient déjà été victimes de violence physique, sexuelle ou psychologique.

"C'est la première fois que je colle", m'explique une nouvelle recrue. "J'ai vu des messages sur les murs, j'ai vite trouvé le groupe sur Instagram et je les ai contactées. J'avais envie de faire quelque chose de concret, d'impactant. Les violences faites aux femmes, on a toutes des copines touchées par ça." "Est-ce que t'appréhendes un peu, ce soir?", je lui demande, "J'appréhende les remarques des passants, leurs réactions."

Le tram arrive dans sept minutes, le temps pour les membres du collectif de me raconter quelques anecdotes, comme la fois où elles se sont retrouvées en pleine course-poursuite avec le gardien d'un chantier, ou encore lorsqu'elles ont eu affaire à des passants insultants. Les personnes qui les abordent, il y en a deux types: "il y a ceux qui sont contents, et puis ceux qui nous insultent, qui eux, sont beaucoup plus nombreux."

Le tram arrivé à quai, nous prenons place. "Pourquoi c'est important pour vous de coller ces messages?", je m'interroge. "C'est vraiment se réapproprier l'espace public, imposer des messages, les gens ne peuvent pas fermer les yeux. Le message est là, et puis le faire de nuit, on se fait souvent emmerder, moi je sors toujours avec un taser ou un spray au poivre quand je suis seule, mais là, en groupe, t'as pas peur."

Nous arrivons au Kirchberg. "On fait quel slogan?". Ce sera "Nous sommes les voix de celles qui n'en ont pas". Le groupe se sépare en deux. Il faut être trois par slogan, m'explique-t-on. La première verse la colle contre la surface choisie, la deuxième tend lettre par lettre le slogan à la troisième qui passe un coup de pinceau et/ou éponge par-dessus les feuilles. Environ à la moitié du slogan, un gardien s'approche de nous. "C'est quoi la fin du message?", nous demande-t-il, mi-intrigué, mi-amusé. "On a le droit de coller ici", s'empresse de répondre une colleuse. "Oui, oui, pas de soucis, bonne soirée!".

Les filles qui étaient parties coller un autre message un peu plus loin, reviennent aussitôt bredouilles. Les vigiles du chantier en question sont passés en voiture leur demander d'arrêter. Elles n'auront eu le temps que de coller le "T" de "Tu n'es pas seule". "C'est la première fois qu'on se fait embêter au Kirchberg."

RTL

© Alice Welter

Leur premier slogan du soir collé, les pinceaux sont vite remballés dans les sacs, et on se dirige vers la prochaine destination. Au passage, le "T" du message inachevé nargue les colleuses, "On le finira plus tard". Puis, nous passons devant un ancien slogan, dont les lettres ont été soigneusement déplacées, décollées puis recollées, enlevant tout son sens au message. "Moi, ça me démotive, les slogans sont arrachés tellement vite", me confie une colleuse, une autre renchérit "quand je pense à la haine des gens quand je vois qu'ils rayent parfois des slogans entiers à la clé, l'acharnement, l'énergie que ça prend", "mais ça montre que ça remue quelque chose", réplique une autre.

"Et vous, ça vous apporte quoi de sortir la nuit, d'aller coller des slogans à travers la ville?". "Un effet libérateur", me répond d'emblée une colleuse. Face à la colère qu'elle ressentait, elle s'est longtemps sentie démunie, l'extérioriser semblait être la solution. La colère par rapport aux "filles de mon entourage qui ont vécu des violences sexuelles, je n'en connais pas qui n'en ont pas subi". Un constat affligeant, qui illustre la réalité de nombre de femmes. "On se dit que la honte doit changer de camp".

"Moi, ça m'aide à retrouver une sororité, être avec des gens qui ont les mêmes valeurs", "pour moi, c'est un moment très fort, un moment thérapeutique", autant de raisons qui poussent ces femmes dans les rues, la nuit, pour afficher au grand jour leur colère, avec toujours l'espoir aussi, peut-être, d'aider certaines femmes qui elles aussi, subiraient des violences.

Le dernier slogan collé, nous repassons devant le "T". "Qui est chaud de le terminer, ce slogan?".